Portraits de famille

L’artiste a réalisé un certain nombre de portraits de son épouse, de ses filles ainsi que de son entourage durant sa période ‘classique’. Voici les portraits de Jeanne :

 

Les deux toiles Le Youpala (1935) et Nicole lisant (1943) datent de la première période, sont très intéressantes, elles témoignent de deux styles très différents. Le Youpala est assez stylisé dans des tons très pâles, les coups de pinceaux sont très visibles. Il diffère du style de l’artiste de l’époque, qui réalisait des portraits, des natures mortes dans un style plus léché. Le portait Nicole lisant ou La Petite Liseuse, est quant à lui plus classique et correspond bien au style de l’époque.

Lors de la seconde période, les jumelles brune et blonde sont largement représentées, ainsi que son épouse. Un portrait de cette période se démarque des autres : Les Voyeuses, Trois Figures peinte en 1949. Cette toile est sans conteste la plus singulière de cette période.

Les dessins préparatoires :

En premier lieu cette œuvre revêt un caractère particulier par l’étude réalisée autour du dessin automatique, un nombre important d’esquisses a été retrouvé, ce qui démontre que le peintre a porté un intérêt spécifique à cette œuvre.

La toile fait la synthèse de trois dessins préparatoires dont il est difficile de déterminer l’ordre. Trois silhouettes dont une assise sur une chaise se distinguent dans le dessin automatique.

Deux premiers dessins préparatoires vont servir à préciser les formes générales et les poses des personnages. Un autre va esquisser le décor, la « mise en contexte » des personnages : grâce au jeu de cartes et la table au premier plan, enfin une dernière épure va travailler sur le fond en ajoutant le cadre derrière les trois figures. Turpin en 1951 qui visiblement avait eu accès aux esquisses avait déjà très bien cerné le processus de l’artiste :

Nous pouvons suivre, de dessin en dessin, d’épure en épure, la genèse de l’œuvre, le travail de l’artiste au fur et à mesure qu’il nourrit de pensée sa première notation automatique.

La peinture :

Le rendu final est assez éloigné du dessin originel, mais là n’est pas l’intérêt essentiel de cette toile. Comme nous l’avons vus, la majeure partie de sa production a pour inspiration son épouse et ses filles durant cette première période.

Dans cette toile l’artiste va plus loin en réalisant une sorte de double portrait symbolique de son épouse : les traits des deux figures féminines reprenant ceux de Jeanne, son épouse. Les traits des personnages sont alors plus fins et beaucoup plus réalistes ; les autres toiles apparaissent d’un style très naïf face à celle-ci. Les trois personnages sont représentés de face (inhabituel pour cette période), de plus on peut lire une expression sur les visages, jamais réalisée auparavant. Chaque personnage semble avoir une interrogation différente les uns des autres, liés par leurs contiguïtés, mais rendu individuels par leur attitude. Par ces innovations la facture de la toile se trouve modifiée, plus minutieuse et plus nuancée donnant un côté sévère à la toile.

Pour aller plus loin à propos de cette toile, vous trouverez dans ce lien l’extrait d’une lettre écrite par Regner livrant la symboliquehttp://photos-panographiques.over-blog.com/article-11117919.html

Juste une petite constatation, en mettant en ligne les portraits de Jeanne, je viens de m’apercevoir que la toile de 1935 est elle aussi composée de trois figures…

L’Ex-libris

L’artiste grave son ex-libris en 1945, assez vite après s’être mis à la gravure en 1941. Celui-ci est composé de différents symboles : une palette évoquant son art, une araignée au centre de la gravure : image devant être saisie à différents niveaux. L’artiste fait preuve d’autodérision en réalisant un jeu de mot formé par les initiales de son prénom et son patronyme « A. Regner » donnant en phonétique la sonorité « Araignée » (Désagrément qui l’incitera à adjoindre à ses initiales, son deuxième prénom : A-G. Regner).

La part ésotérique de l’artiste est mise en lumière par une étoile dessinée sur le dos de l’araignée ; pentagramme droit symbolisant dans cette doctrine « l’homme positif ». L’araignée est à la fois au centre de la palette et de la toile qu’elle est en train de tisser : à la fois toile d’araignée et toile de l’artiste. Claude Bouret y verra une préfiguration de la facture ultérieure de l’artiste :

L’ex-libris assez traditionnel datant de cette période est présenté comme un simple autoportrait emblématique du peintre. Mais il cache peut-être un message inconscient, car il pourrait être décrypté comme le pressentiment d’une évolution de l’œuvre à venir, dans laquelle la primauté des lignes en réseau s’épanouira aussi bien dans la peinture que dans la gravure. Bouret, in Catalogue Raisonné, 2002.

Ce jeu de mot entourant son patronyme sera réitéré en 1977 à l’occasion de la gravure d’un dessin automatique intitulée A REGNER du soir… espoir reprenant le célèbre proverbe.

Petite constatation : Avec un peu de recul, l’araignée de l’Ex-libris me fait penser plus à une araignée de mer, qu’à un insecte. Qu’en pensez-vous?

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Les Cours Dolto

Regner suivra les « Réunions du mardi » tenues par Françoise Dolto durant l’année 1950-1951.

Débutées avant-guerre ces rencontres étaient à l’origine réservées aux psychanalystes et ont évolués ensuite en séminaires dirigés par Françoise Dolto dont l’intitulé était « Étude Comparative de la Clinique et du Dessin Libre ». À cette époque la psychanalyste n’était guère connue, mais déjà très controversée, ce séminaire revêtait alors un caractère confidentiel.

C’est en tant que professeur de dessin que Regner a pu suivre ce séminaire, la participation étant réservée aux professionnels de l’enfance. Chaque participant devait présenter un ou plusieurs dessins d’enfants en restituant les éléments connus et les circonstances dans lesquelles le dessin avait été fait, le docteur Dolto commentait alors ces dessins apportés par les praticiens et les aidaient à comprendre le sens qu’il fallait leur donner.

L’association a.a.A-G.R possède les notes de ces cours. Ces cahiers foisonnent d’analyses de dessins d’enfants et d’études de symboles, mais aussi de classifications par maladie, de méthodes d’investigations pour l’analyse des dessins, et de conseils sur l’éducation de jeunes enfants.

À travers cet apprentissage, Regner consolidera ses notions concernant les pratiques éducatives. D’un point de vue personnel, cet enseignement a rejoint son besoin profond et intuitif d’introspection, mais aussi en tant que professeur ses préoccupations pédagogiques. Il mettra en pratique ses nouvelles connaissances dans ses classes, en analysant les dessins de ses élèves.

En travaillant avec la psychanalyste Dolto, j’ai beaucoup appris sur les symboles. Le symbolisme m’est tout à fait acquis, souligne le peintre, à seule fin d’étayer son raisonnement. Il a d’ailleurs mis cet acquis en pratique au cours de son professorat. « Faites faire à des enfants de 6edes dessins figurants une forêt profonde et vous verrez qu’en fin de compte… on décèle leur personnalité. C’est eux-mêmes qu’ils décrivent. Jones, La Renaissance, 14 décembre 1982.

Dans son livre consacré à l’artiste, Georges Turpin évoque l’inspiration que ces dessins d’enfants lui apportèrent pour la réalisation de ses toiles de la première manière :

Ce sont souvent d’ingénus aveux. Il en aime la simplification graphique et colorée, le caractère souvent symbolique, parfois synthétique, l’esprit inventif et aussi l’innocence. Ces fraîches visions enfantines l’ont captivé et il ne cache point qu’elles ont sans doute eu une certaine influence sur l’évolution de son art.

Au cours de ses années d’enseignement, il entretiendra une relation particulière avec ses étudiants, souhaitant les accompagner dans leur formation du mieux qu’il peut. Regner a toujours accordé beaucoup d’intérêts à cette étape décisive qu’est l’adolescence :

Mes connaissances des dessins révélateurs, m’ont permis d’aider beaucoup de mes élèves. Et quand j’avais trouvé ce qui les blessait, je n’hésitais pas à leur en parler et pendant les récréations, j’avais toujours quelques élèves qui venaient et qui m’écoutaient et je pense que j’en ai tiré d’affaire plusieurs. ITV. Herniaux, Gruyer, 1984.

Henry Lhotellier

Henry Lhotellier (Maître verrier 1908-1993) fut l’ami et l’alter ego de Regner, c’est avec lui qu’il échangea le plus en matière d’art. Ils se sont connus au cours de leurs études en 1925 lors de la Création de l’atelier Saint Luc :

« Première rencontre au cours de laquelle nous avons découvert que nos préoccupations étaient les mêmes ; nous étions tous deux attirés par l’ésotérisme, par ‘l’envers des apparences’ et, à la bibliothèque municipale, nous lisions l’un et l’autre Saint-Yves d’Alveydre, Papus et Stanislas de Gaïta dont nous consultions son dictionnaire de la Magie, revêtu d’un ex-libris autographe. Ce fut-là le départ de soixante-deux années de merveilleuse amitié et d’une quête commune. » Lhotellier, Bononia, n°16.

Il existe une correspondance très riche entre les deux hommes qui permet de comprendre toutes les relations qu’ils avaient dans le milieu de l’art et surtout montre que malgré la distance et l’époque, ils étaient très au courant et très réactifs à ce qui pouvait se passer ailleurs.

En 1970, Regner en compagnie d’Henry Lhotellier créa le Salon de la Gravure à Bayeux.

Henry Lhotellier a écrit plusieurs articles sur Regner. Dont un premier texte en 1990, écrit sous la forme d’une lettre adressée au peintre décédé, où il revient sur les points clés du cheminement du jeune élève, de l’apprenti artiste et du peintre (Lhotellier, « A-G Regner, Peintre Graveur », in Bononia n° 16, pp. 37- 41, 1990).

Puis un second texte développant le précédant se voulant « plus scientifique » (Lhotellier, « Alfred-Georges Regner, Peintre et Graveur » in Bononia n° 18, pp. 6-43, 1991).

Voici un lien contenant plus d’informations sur cet artiste :

http://lesamisdupatrimoinesaint-martinois.over-blog.com/article-27879532.html

La maison du Clos Riant, un univers hétéroclite

L’Atelier dans le poulailler

En 1962, Regner voulant se consacrer entièrement à la peinture, décide de prendre sa retraite à Bayeux, dans la maison familiale de son épouse : « le Clos-riant ». Il installe sa presse dans la cave et transforme en atelier l’ancien poulailler au fond du jardin. Cette installation donnera lieu à une gravure pour les vœux de 1963 et à une toile, plus tard en 1966 :

Poulailler, anciennement peut-être, mais vaste salle surmontée d’une galerie ou balcon, éclairée par de grandes verrières. Au fond du parc, isolé de la maison, tu y installes ton atelier ; sanctuaire autant qu’atelier. C’est là, que dans une paix profonde, tu accomplis ton œuvre dans une parfaite quiétude. Lhotellier, 1990.

La Bibliothèque

Cette préretraite est une aubaine pour l’artiste qui peut enfin consacrer tout son temps à ses activités. Ses journées sont alors partagées entre son atelier, ses recherches et ses lectures. Plus de 10 000 titres ont été dénombrés dans sa bibliothèque, composée au fil des années d’ouvrages philosophiques, historiques, littéraires, psychanalytiques, ésotériques et d’histoire de l’art.

Voyez-vous, je possède peut-être 10 000 volumes et j’ai tout lu. J’estime que j’ai trop lu, que j’ai trop acquis. Il faut laisser faire le temps : provoquer une décantation. De Grainville, Connaissance des Hommes, n° 20, mai 1966.

Ses collections

Sa bibliothèque n’est pas la seule spécificité de la maison du Clos-riant. Demeure hétéroclite, par ce mélange de style mêlant à la fois diversité temporelle et géographique : Regner passionné d’objets et d’art s’est constitué une vaste collection composée de tableaux modernes et contemporains, de pièces africaines, océaniennes et asiatiques représentées dans certaines de ses premières toiles qui décorent sa maison.

Tu constitues aussi des collections diverses dont celle de cristaux de Bohème ou autres qui te renvoient, par leurs facettes une ‘palpitante lumière’ sur laquelle tu médites. Lhotellier, 1990.