Masson et Hayter

André Masson

Le geste d’André Masson tendra à être discontinu procédant par touches, s’étalant en rhizomes. Il s’appropriera l’espace de manière saccadée, par ce que l’on pourrait qualifier de rebondissements de la main. Les tracés d’un même dessin pouvant être indépendants les uns des autres.

Le dessin de Masson contrairement à celui de Regner semble investir l’espace, se déployer. Comme si sa construction se faisait en expansion alors que celle de Regner en contraction. Dans les dessins automatiques de Regner l’œil doit isoler des formes pour composer des figures, alors que chez Masson l’œil doit les associer. Regner tendant à un « dessin à première vue abstrait » alors que la majorité des dessins d’André Masson reste figurative, souvent constituée d’une adjonction de petits éléments multiples formant un tout.

Jean Vinchon dans un chapitre intitulé Griffonnages et personnalité abordera ces deux types de griffonnage :

Le nombre des griffonnages abstraits dépasse celui des griffonnages figuratifs, mais les deux catégories coexistent souvent sous la même main. […] Les formes figuratives sont rarement groupées dans une composition d’ensemble. Elles occupent des endroits divers des pages, se répètent se multiplient.

Certains dessins de Masson contiennent des éléments géométriques, voir des bribes d’architectures. La ligne droite étant souvent présente.

Les gravures de Stanley William Hayter, une équivalence?

Bien que plusieurs comparaisons puissent être effectuées avec d’autres artistes, il est difficile de trouver une équivalence picturale, mais aussi dans la démarche de cet artiste. En termes de durée Regner est l’artiste qui a pratiqué le plus longtemps le dessin automatique. Toutefois, une comparaison peut être établie avec un autre artiste, Stanley William Hayter qui a pratiqué le dessin automatique et transposé en gravure de la même manière que Regner.

Hayter est parvenu à réaliser des « gravures automatiques » dans les années 1943. Attiré par l’automatisme psychique il a fréquenté brièvement André Breton et le groupe surréaliste. Sa pratique automatique dans un premier temps est morcelée en deux étapes, semblables à celle d’Alfred-Georges Regner : un dessin préparatoire automatique, puis à partir de celui-ci la confection d’une gravure : comme l’atteste cette description du dessin préliminaire de la gravure Combat réalisée au cours de l’année 1936 :

Ce croquis de plus petite taille est manifestement un dessin réalisé inconsciemment, qui par la suite a été retravaillé de manière à faire ressortir plus concrètement la ligne. En plusieurs endroits on peut voir qu’Hayter a remplacé une ligne expérimentale hésitante par une plus nette. Black, Moorhead.

Il semble qu’Hayter n’hésite pas à effectuer quelques reprises du premier jet automatique, allant jusqu’à enlever certains traits ; cette pratique n’est pas sans rappeler celle de Regner lors de sa première facture. Dans une seconde pratique plus aboutie, Hayter est parvenu à franchir une étape que bien d’artistes ont tentée sans pouvoir y parvenir. Sans contourner l’obstacle en inventant une technique particulière, et à force de rigueur et d’entraînement d’une part et d’une grande maîtrise de ses outils de l’autre, Hayter parvient peu à peu à graver inconsciemment, se débarrassant ainsi de l’étape de réalisation de croquis préparatoires :

En 1943 il y a d’autres Burin Studies et dans ces exercices Hayter utilise le burin de manière purement automatique, laissant le plus possible jouer l’inconscient. Black, Moorhead.

La ressemblance de quelques gravures monochromes avec celles de Regner est assez saisissante, la même technique à la pointe sèche laissant un voile à l’essuyage y est employée. Le tracé automatique de Regner se rapproche de celui pratiqué par William Hayter ayant la même tendance à superposer les lignes comme dans sa gravure intitulée Famille japonaise de 1955, cependant une grande majorité de sa production reste très abstraite.

Il est plausible que ces différentes remarques graphiques relèvent de deux constructions différentes de l’image subconsciente.

Puzzles ou bobines?

Le premier automatisme (propre à Masson) pourrait être comparé à la construction d’un puzzle. Celui-ci aurait sur chaque pièce un élément autonome (figuratif ou non) qui juxtaposées et articulées les unes aux autres formeraient un tout, le message automatique. Une certaine composition est donc réalisée, chaque élément étant une synthèse : comme un code ou un signe dont le message serait inconnu.

Dans l’inconscient de Masson se sont accumulées diverses émotions, suivies ou non d’effets, relatives à une pomme, un pigeon, ou une femme nue qui à l’occasion d’une insertion ultérieure dans une composition échappent au statut de la transcription réaliste (portrait ou nature morte) pour se découvrir une signification symbolique à l’intérieur de la métamorphose surréaliste. […] L’émotion première chez lui, se referait à une interprétation purement intellectuelle, en d’autres termes à une symbolique froide. José Pierre, Position politique de la peinture surréaliste, Le Musée de Poche, Paris, 1975.

Un autre automatisme plus profond, j’entends par là moins évident, moins instantané (Regner, Hayter, certains dessins automatiques de Masson), dont le message automatique serait concentré. Livré en bloc, chaque élément serait à l’inverse à dissocier telle une bobine de fils à démêler, de manière identique aux Objets naturels à réaction poétique. Le message est beaucoup plus uniforme, plus global.

Ma peinture met en branle des réactions émotionnelles. Les êtres sensibles se projettent dedans comme dans un test de Rorschach. Note manuscrite.

Cependant, les objets par leur nature n’intègrent pas le même degré d’automatisme contenu dans les dessins, ces derniers sont plus partiels, à l’identique des tâches du test de Rorschach ou les décalcomanies provoquant un mécanisme, servent d’entraînement, de réservoir de formes.

Pour aller plus loin

Vous trouverez un complément de mes recherches préalables dans l’article intitulé L’Interprétation.