L’évolution de la facture

 À partir de 1948, sa facture commence à se transformer, les formes imbriquées deviennent plus anguleuses, les couleurs se veulent plus impressionnistes et moins tranchées. Quant au dessin automatique, il reste épuré, mais est respecté dans ses lignes principales et n’est plus retravaillé.

Voici une petite sélection de quelques œuvres de cette première période automatique :

Cette période est caractérisée par une grande homogénéité des thèmes, Regner peint systématiquement des personnages féminins accompagnés d’enfants, d’objets ou d’animaux.

Les sujets :

Ses sujets s’inspirent de son entourage très féminin composé d’une femme et de cinq filles ; dont des jumelles l’une brune, l’autre blonde, principal objet de ces dualités et oppositions très marquées au fil de sa production.

Dans la plupart des cas, les toiles dépeignent des scènes intimistes dans un intérieur matérialisé par un décor à l’arrière-plan. Dans la plupart des cas, les toiles évoquent des scènes relatives au quotidien, à l’enfance et l’adolescence : Le Cheval à bascule ou Puberté. Souvent les titres abordent des rapports fraternels, mais aussi sont l’illustration de sentiments universels Bouderie, Confusion, Tristesse ou encore Violence et Perfidie.

Imbrication des figures :

D’un point de vue plastique, la caractéristique essentielle de cette période réside dans la manière d’imbriquer les figures entre-elles. Plusieurs sensations émanent de cette proximité : un certain repli des personnages sur eux-mêmes, une certaine introversion et une forte sensualité en raison de l’embrassement des courbes. Ce mode de représentation s’explique par ses attirances artistiques « Regner admirait l’art gothique et roman avec sa loi du cadre, c’est-à-dire cette idée selon laquelle la peinture est d’abord une surface à combler entièrement. » Abeille, in Catalogue Raisonné, 2002.

Quant à l’origine et la signification de ces figures puzzle, l’artiste donnera une explication personnelle, très ancrée dans les préceptes de cette époque :

J’éprouve, sans doute comme beaucoup, le sentiment d’être intégré dans une vaste machine dont nous sommes des engrenages. Tout mouvement excentrique étant rendu impossible, de gré ou de force il faut rester à sa place et servir le mouvement général. Dans mes peintures tous les objets s’emboîtent, toutes les figures s’imbriquent les unes dans les autres, les corps et les membres s’épousent jalousement ou épousent les objets proches, mon inconscient traduisant ainsi l’angoisse, l’impression d’étouffement que beaucoup éprouvent dans notre société où l’espace nous est strictement limité ou notre liberté nous est de plus en plus disputée.

Sa peinture très simplifiée se veut symboliste ; les perspectives ne sont pas respectées, les plans souvent écrasés et vus de dessus de manière à tout représenter tels les poissons dans une assiette dans Le Retour du marché. Les fonds très décoratifs permettent une mise en contexte des thèmes et grâce à leur composition stabilisent le sujet. Ils sont élaborés au cours des esquisses préparatoires, donc rajoutés au dessin premier. Rarement uniformes, ils sont essentiellement composés de façon binaire créant un effet de perspective, les sujets prenant place dans l’angle d’une pièce.

Jeux de couleurs et de matières :

Au cours de cette période, la palette du peintre est très colorée et appliquée généreusement en aplat. Les figures fonctionnent en opposition une brune une blonde, l’éclat de certaines couleurs peut être atténué par celle attenante comme les couleurs orange et vertes des robes, prises séparément elles détonnent, mais apposées à côté se tempèrent dans La Harpiste aux mains agiles. Regner n’hésite pas à renforcer cette dualité avec ses teintes : la figure brune sera toujours vêtue d’un habit plus foncé que la blonde, le renversement se fera à travers les fonds en opposition.

Le second point spécifique de cette première facture se porte sur la part très décorative des toiles en raison des motifs et couleurs employés :

Pour chacune de ces œuvres, Alfred-Georges Regner rechercha une harmonie précieuse, adéquate avec la pensée qu’il veut donner. C’est alors le coloriste qui a son mot à dire et qui le dit bien, quelques fois presque décorativement. Turpin

Regner va approfondir ses essais de matière, Mannequin et ruban bouillonné est la toile la plus représentative des différents procédés. Le peintre peut jouer avec l’épaisseur de la peinture pour rendre compte d’une matière comme pour le ruban rose et blanc posé sur la toile, ou la trame de la robe du mannequin probablement réalisé avec l’envers d’un pinceau. Il peut créer des imprimés à l’aide d’ustensiles ronds trempés dans la peinture comme pour la robe de la jeune femme au centre, ou coiffer ses personnages féminins au peigne. Quant à l’imprimé du tissu noir, ce n’est d’autre que le tampon personnel du peintre, clin d’œil dévoilant la part facétieuse de l’artiste.

Je suis parfaitement d’accord avec vous sur l’aspect décoratif de mon ensemble. C’est seulement par le voisinage des autres exposants que je m’en suis aperçu. Dans mon atelier je ne m’en rendais pas compte. Je lutterai à l’avenir contre cet écueil. Je pense que c’est en cherchant à me débarrasser de mon réalisme que je suis tombé dans cet excès. Extrait d’une lettre à M. X., Regner, Catalogue Raisonné, 2002