Les peintures essais

Quelques toiles éparpillées d’un bout à l’autre de la production picturale de Regner paraissent différentes. Le peintre se dégage par moments de sa ligne directrice afin de réaliser des tentatives d’innovation. Ces tableaux sont des essais de style, engendrant ou non par la suite des mutations dans sa manière de peindre. Ces changements de style ne sont pas ressentis au niveau du dessin premier et ont essentiellement lieu lors de la confection de la toile lors du tracé et de la mise en couleur. Durant cette première facture six toiles semblent se démarquer des autres.

L’Éventail déployé, 1948

Un premier changement significatif est perceptible dans la toile L’éventail déployé. Depuis 1945, Regner réalise ses « figures puzzle », procédant à un emboîtement des figures entre-elles, une ligne sombre délimitant les grandes masses les unes aux autres. À partir de 1948, Regner en peignant L’Éventail déployé abandonne ses courbes foncées au profit d’une ligne blanche plus épaisse dont il ne se départira plus. En séparant ainsi les formes les unes des autres, Regner parvient à alléger ses toiles. Cette modification permet de faire ressortir le sujet tout en ayant la possibilité de créer un contraste moindre des couleurs entre figures et fonds, elle met également plus fortement en évidence les lignes gardées du dessin automatique. Comme dans Rêve d’évasion où l’artiste n’aurait pas pu se permettre les mêmes coloris bleus s’il avait gardé une ligne sombre.

Georges Turpin tirera de cette observation une interprétation différente :

« le dessin de Regner jusque-là accusé par un trait sombre apparaît en clair ou en blanc. L’aspect général des compositions prend ainsi un sens plus abstrait. »

Les années 1949-1950

Au cours des années 1949-1950, un désir de faire évoluer son style se fait ressentir ; en l’espace de six toiles, quatre présentent de significatifs changements de facture. Il est probable que d’autres « essais » existent puisque six toiles adjacentes à cette série sont inconnues.

Les Voyeuses, Trois Figures, 1949

 Les Voyeuses, Trois Figures est sans conteste la toile la plus intrigante de cette période en raison de sa singularité. Cette œuvre revêt un caractère particulier par l’étude réalisée autour du dessin automatique, un nombre important d’esquisses a été retrouvé, ce qui démontre que le peintre a porté un intérêt très spécifique à cette œuvre. (Vous retrouverez la description de cette toile dans l’article Portraits de famille).

La Dame 1900, 1949

Le tableau qui vient ensuite La Dame 1900 est emprunt de caractéristiques identiques, visibles au travers des touches et des couleurs cependant plus douces. Regner reviendra cependant, à des couleurs plus vives et à une ligne plus ronde. Les seules modifications se ressentiront à travers la touche plus impressionniste acquérant ainsi une plus grande légèreté.

Les Raccommodeuses de filet, 1950

Les Raccommodeuses de filet réalisée en 1950, est un exemple d’essai non retenu par la suite. De manière identique au tableau Les Voyeuses chaque croquis préparatoire étudie un point particulier de la toile ; ces trois épures ne laissaient aucunement présager du style qu’allait prendre la toile.

Lors de la réalisation de cette peinture, Regner opte pour des formes très géométriques : c’est la première fois qu’il utilise la ligne droite et le cercle pour un décor. De plus les figures imbriquées jusqu’alors, semblent ici vouloir se détacher et se déploient semblables à un éventail. Les lignes géométriques et les tons employés suscitent une certaine froideur provoquant ainsi une mise à distance de celui qui regarde la toile.

Au jardin, 1950

Au jardin de 1950, le trait et la couleur s’affinent et se nuancent rendant le visage expressif, artifice déjà observé lors du double portrait. Alors qu’une certaine volupté se dégageait des personnages avec leur côté charnu et rond, ici les personnages s’affinent et deviennent anguleux, exprimant une certaine tension dans la toile. Cette particularité restera présente dans les créations à venir, mais de façon plus nuancée entraînant une sensation de mouvement et une expression plus prononcée des personnages.

À partir de cette toile, les fonds emprunts de la manière décorative se feront plus neutres, Regner privilégiant le sujet au décor. Le dessin automatique restera repris dans les grandes lignes, mais ne sera plus remodelé comme il avait pu l’être préalablement.

Le Pain quotidien, Lassitude, 1952

Le Pain quotidien, Lassitude de 1952 est la combinaison menée à son paroxysme de tous les essais réalisés préalablement : angulosité des personnages créant un climat de tension, un fond neutre avec une touche impressionniste. Annonçant le changement de facture imminent.

Propos malveillants et Le Chaudron, 1952

191_dessin_Automatique_Alfred_Georges_Regner 

Les dessins automatiques retrouvés pour Propos malveillants et Le Chaudron démontrent qu’à l’issue de cette facture Regner ne remodelait plus ses épures comme au préalable, se contentant d’éliminer ce qu’il nommait les faux traits.

 

L’automatisme de cette première facture

Regner part d’un automatisme, dont il analyse et interprète les formes, qu’il renforce par la suite au moyen d’ajout de symboles et de transformation de la ligne et lors de l’ultime étape de mise en couleur. Il puise dans son dessin automatique considéré comme un réservoir de formes et d’idées. L’artiste ne réussit pas encore à trouver l’équilibre entre les deux pôles constituant sa démarche : pratique automatique et peinture, favorisant l’esthétique au moyen de cette facture très décorative.

La cohérence de cette période s’opère à travers la plastique et l’homogénéité des sujets. Les couleurs employées rappellent celles des fauves, particulièrement celles d’Henri Matisse. Regner est en train de se faire, de trouver sa voie, mais comme il l’a si bien dit « Un vrai peintre doit éviter de mettre ses pas dans les pas de ses devanciers ». Les deux voies, la technique et la couleur, où l’artiste va pouvoir se distinguer sont ouvertes, dès lors le peintre évoluera dans sa démarche, choisissant de ne plus dénaturer les lignes de son dessin premier.