Les peintures clés

Comme la première période automatique, la seconde période possède un certain nombre de peintures essais, qui se sont avérés concluant ou non.

Les ruches, le basculement

La Ruche entrouverte datant de 1952, est la dernière toile réalisée lors de la première facture. Ce tableau et son pendant Regard dans la ruche réalisé en 1954 durant la seconde période automatique sont deux œuvres clés, car elles matérialisent le basculement de la première manière à la seconde. De manière évidente, le sujet a particulièrement « poursuivi » l’artiste qui a réalisé plusieurs dessins automatiques sur ce thème.

On y perçoit deux femmes accoudées à une ruche, celle de gauche regardant à l’intérieur. Il est intéressant d’observer l’évolution entre ces deux œuvres.

Les dessins automatiques des deux toiles datent visiblement de la première période, puisque le dessin de 1954 a été retouché : un motif a été rajouté à l’une des robes et au fond. Bien entendu Regner n’en a pas tenu compte lors de la réalisation de la toile de 1954. Observation confirmée par l’inversion chronologique des titres des dessins : le second s’intitule La Ruche ou les deux blondes 1, alors que l’intitulé du dessin pour le tableau de 1952 a pour titre Regard dans la ruche 2, La Ruche entrouverte.

  

L’Écheveau démêlé, 1953

L’Écheveau démêlé inaugure la seconde période automatique. Cette toile est composée en deux plans : un fond bicolore à la touche impressionniste et le dessin automatique gardé dans son intégralité.  À divers degrés ce tableau est encore très emprunt de la première facture, avec les coiffures en rouleau des deux femmes identiques à celles de la première période ainsi que la dualité blonde-brune.

La colorisation de cette toile est assez spécifique, car visiblement Regner n’a pas encore recours au système de fonds en damiers créant des effets de couleur, cependant le peintre parvient à faire « chanter » sa touche, utilisant le même procédé élaboré pour la toile Le pain quotidien, Lassitude de la première période. Le lacis blanc reprenant intégralement le dessin automatique est quant à lui relativement ténu, estompé par la couleur et les touches impressionnistes très fines qui viennent « alourdir » le dessin premier.

Regner reprend le procédé développé lors de la première facture consistant à rythmer verticalement l’arrière-plan en utilisant deux couleurs, ici le bleu foncé sur un tiers et le marron sur deux tiers. Procédé qui sera étendu à la majeure partie de ses toiles et complexifié.

Ce premier essai relativement peu convainquant et encore très emprunt de l’ancienne manière, très vite, Regner optera pour un trait plus tranché et une touche plus uniforme.

Les Portaises, 1955

Les premières études sur la transparence des couleurs commencent lors de la réalisation de la toile Les Portaises. Regner innove en superposant deux couches de couleur fonctionnant en transparence. Visible en premier lieu lors de la réalisation du fond en haut à gauche du tableau, Regner encore emprunt du style décoratif de la première période, peint sur une première strate un voilage rayé, probablement un store de commerce atténué par une fine couche de couleur bleue.  Il réalise cette tentative de colorisation différente afin d’obtenir des couleurs évoluant au grès des différentes lumières.

Un autre effet par transparence est réalisé sur l’habit rouge d’un des trois principaux personnages. Un motif losangé ressort, renvoyant aux imprimés réguliers de la première facture. Ce motif mettant en relief le personnage le désolidarise des autres. Ces rajouts décoratifs à l’exception d’une toile Cravates à la sauvette n’auront dorénavant plus cours (Lors de la confection de la toile intitulée Repas de marins-pêcheurs Regner ne procède pas à un rajout décoratif, mais étend le motif en damier à l’intégralité du sol, alors que dans le dessin automatique il ne paraissait que du côté droit).

 Cravates à la sauvette, 1957

De manière identique aux Portaises, l’artiste a rajouté à l’arrière-plan un store, non représenté dans le dessin premier.

L’établissement de la mise au carreau

C’est à partir de ce tâtonnement que Regner mettra en place sa technique de mise au carreau, sous-couche formant une mosaïque multicolore, composée à l’origine d’éléments irréguliers juxtaposés de grand format effectivement perceptible dans Le Repas breton offrant à l’arrière-plan un dégradé bleu nuancé de violets, roses et verts. Peu à peu ces éléments diminueront formant un fond coloré en damiers marquant une première délimitation des zones claires et foncées.

Mise à part l’obtention de couleurs évolutives, cette technique permet de pouvoir utiliser des gammes de couleurs très proches les unes des autres tout en ayant une nuance possible comme les couleurs bleues vertes rosées très pâles dans Le Cerf-volant datant de 1959.

L’Heure de la vaisselle, 1956

L’Heure de la vaisselle est singulier essai, dans cette toile la ligne du dessin automatique qui borde les figures est réalisée de deux couleurs différentes ; blanche pour le personnage central et noire pour les figures qui l’encadrent. Cet essai évoquant la ligne noire des premières toiles issues d’un dessin automatique, a pour effet de rendre le sujet de la toile assez sombre et placer les personnages sur deux plans différents. Renforcé par le traitement des faux traits « caméléons » : de manière identique aux autres toiles, l’artiste applique dans un premier temps les traits du dessin automatique en blanc, cependant lors de la coloration des surfaces, il camoufle le trait blanc en lui donnant la teinte de la surface en contact : tel le tablier du personnage clair peint en bleu, les faux traits hériteront de la même couleur, un ton plus foncé.

Cette expérimentation ne sera pas réitérée par la suite.  L’œuvre donne l’impression que Regner a voulu revenir à une manière plus figurative tout en gardant les faux traits pour ne pas altérer son dessin premier.

Trois Figures abstraites, 1958

Un autre essai sur le trait automatique sera réalisé, dans la toile la plus singulière de cette seconde facture au titre très évocateur Trois Figures abstraites. Le dessin automatique sélectionné par le peintre porte déjà un caractère particulier : contrairement aux autres dessins, les entrelacs y sont sommaires et très saccadés. Le peintre n’a pas jugé nécessaire de mettre en valeur la ligne. Sur la toile, contrairement aux autres œuvres, aucune ligne n’est laissée de côté, ni placée à un rang secondaire englobant toutes les lignes tracées par le peintre, ne laissant pas de faux traits. Le tracé blanc plus épais et plus net que d’ordinaire marque le contraste avec la couleur, comme si la ligne voulait l’envahir.

La touche employée par l’artiste diffère aussi, même si le fond en damier est présent, les couleurs paraissent lisses très neutres. Écart de style annoncé dans le titre qui n’aura pas de répercussion sur sa production future. Dans cette toile, l’artiste a semblé vouloir aller à contrepied de ce qu’il produisait.

Lignes et couleurs

Les deux prochains tableaux montrent les particularités que peut engendrer le choix d’une ligne et de colorisation. La première image est Le Gril-grillon. Surprenant en raison de ces traits parallèles bleus, pas réellement mis en valeur dans le dessin automatique, l’artiste aurait pu faire le choix de passer cette série de lignes au second rang, or il décide de les intégrer à son sujet en les faisant ressortir plus encore en choisissant une couleur contrastant avec le rouge.

Le second exemple porte sur le choix des couleurs quant à la réalisation du fond Autant en emporte le vent, comme Bœuf boomerang sont deux exemples de dessins n’ayant pas de « soubassement ». Au moyen des couleurs, Regner fait le choix de placer ces deux peintures en lévitation. Alors que dans d’autres toiles possédant un dessin qui pourrait être flottant, Regner par la couleur fait le choix de « poser » le sujet structurant le fond en plusieurs couleurs.