Les prémices

Regner s’est adonné à la technique du dessin automatique tardivement, aux alentours de 1945 (le Manifeste du Surréalisme d’André Breton est écrit en 1924, les premiers dessins automatiques d’André Masson sont datés de fin 1923-1924). Cependant son attrait pour l’occultisme, la psychanalyse et la peinture remontent à sa jeunesse.

Un entretien, où l’artiste confie ses souvenirs de jeunesse, permet de dater d’avant-guerre ses premières attirances pour les sciences occultes :

« Je me suis toujours intéressé à l’occultisme et quand j’étais jeune, avant la guerre de 14-18, dans les salons amiénois il était de bon ton de faire tourner les tables. »

Henry Lhotellier reviendra sur ce sujet exprimant son ressenti à propos de l’influence de cet univers, plus particulièrement à travers la personne de Célina, la mère du peintre :

 « Sans doute possédait-elle des pouvoirs, j’en ai été témoin et le soin qu’elle apportait à ses complexes préparations culinaires évoquait l’élaboration de quelque philtre. (…) Dans ce cadre, les conversations et des faits insolites allaient de soi et l’ambiance qui régnait dans la ‘Maison de Célina’ n’a pas été sans influence sur tes recherches ultérieures. »

En 1915, Regner âgé de 13 ans commence son apprentissage à l’école Régionale des Beaux-arts d’Amiens où il étudiera durant trois années. Suite au décès de son père en 1919, sa mère décide de rejoindre Calais, sa ville natale. Regner s’inscrit alors à l’école d’Art et conjointement travaille dans une usine comme dessinateur en dentelles ; métier qui par la suite va laisser certaines traces dans ses peintures :

Tu as retenu de cette expérience l’aspect arachnéen du tissage avec au verso, les faux-fils emmêlés comme les traits d’un dessin automatique et créant sur l’avers fleurs, arabesques ou autres motifs. Fil d’Ariane, file d’Araignée? Lhotellier Henry, in Bononia, 1990.

Fontainebleau

C’est à Fontainebleau que l’artiste va élaborer sa technique. Nommé professeur au collège Carnot, il s’y installe avec sa famille en 1941 et y résidera jusqu’en 1960. Regner s’est dirigé vers l’enseignement quelques années auparavant, faisant alors le choix de subvenir aux besoins de sa famille plutôt que de vivre de son art. Ce qui lui confère une certaine indépendance dans sa création :

« N’ayant pas voulu commercialiser ma peinture, j’ai été obligé de me diriger vers le professorat de dessin, métier que je n’ai pas exercé à la légère, au contraire je me suis passionné beaucoup. »

La maison située près de la forêt est propice à l’évasion et aux balades. Lors de ses promenades Regner glane racines, branchages et pierres qui constitueront le support essentiel de ses « objets naturels » dans lesquels l’artiste se projette observant différentes formes imaginaires. Ce jeu pratiqué par l’artiste, l’aidera à développer son acuité à lire des formes dans ses ébauches. Plusieurs étapes évolutives seront nécessaires pour arriver à développer sa propre « pâte » :

« De mes débuts jusqu’à la guerre, je n’ai pas évolué, je peignais des portraits, des paysages, des natures mortes exposés aux ‘Artistes Français’. Ma peinture était celle d’un réaliste dans laquelle il y avait déjà une certaine simplification dans les paysages. »

L’année 1943 marque une première rupture dans la création plastique de Regner, date qui fait suite à une grave dépression. Une des principales conséquences de cette remise en question fut son abandon définitif de la peinture classique et du figuratif :

« J’ai eu un tournant et dont j’ai gardé un très mauvais souvenir, au départ évidemment j’étais très académique, ayant préparé le professorat de dessin et je me suis aperçu très rapidement que cette façon de faire ne me conduisait à rien, c’était une impasse. C’est à la suite d’une dépression nerveuse qui a duré presque un an, que ma peinture s’est transformée, il n’y a plus eu de point commun avec la peinture du début, c’est une rupture. »

Entre 1943-1945, après avoir appris les bases fondamentales de l’art qui lui ont permis d’acquérir technique et rigueur, Regner se lance dans une étude plus moderne de ses aînés et contemporains, il travaille alors les matières, mais également réalise différentes études portant sur la couleur :

« Je vous ai dit avoir revécu l’évolution picturale depuis le réalisme, je dois préciser que de l’impressionnisme (aboutissement du réalisme), je suis passé à Bonnard et aux Fauves, puis aux peintres dit de tradition française (Pignon et Fougeron première manière) et enfin à Kandinsky.»

Une première fut l’étude de l’impressionnisme. Le peintre réalisait alors des copies, lui permettant de travailler sa touche afin de « ne pas demeurer un réaliste coloré », touche que l’on retrouvera dans plusieurs de ses toiles notamment La Gondole. Malheureusement l’artiste n’a conservé aucune toile de cette étude.

Une seconde étape, est marquée par sa rencontre avec Pierre Bonnard dont un des neveux, Charles Terrasse, était un ami de Regner. Par ce biais, il eut la chance de pouvoir étudier les toiles du maître dissimulées au château de Fontainebleau durant la guerre : « (…) de par cette étude je m’évadais également de l’emprise de la couleur réelle. »

Enfin une troisième étude portée sur l’œuvre de Kandinsky, dont Georges Turpin dans sa monographie consacrée à l’artiste parlera :

« et fit une dernière étape dans l’abstraction en compagnie de Mondrian et de son ami Félix Del Marle. L’étude de l’œuvre de Kandinsky lui permit de se rendre compte que l’art non-figuratif était une sorte de tunnel au bout duquel il n’y avait que la nuit. Quelque chose comme la négation de l’art. »

Après de longues recherches et expériences autour de l’inconscient, c’est aux environs de 1945, qu’il commence à produire ses premiers dessins automatiques, se servant des sujets révélés pour les adapter en peinture n’hésitant pas à réaliser quelques modifications. Début de sa première manière, composée de figures essentiellement féminines imbriquées les unes dans les autres, caractérisée par un travail sur la matière et les couleurs vives.

« Je désire faire une peinture basée sur un vrai métier de peintre. Par expérience sachant que l’inconscient s’exprime surtout par des jeux de mots, j’ai cherché à traduire, ceux-ci en peinture : j’ai trouvé comme équivalent pictural ce contour commun à des formes voisines. »

Dans les années 1947-1953, Regner réalise une série de conférences en rapport avec la psychanalyse et la peinture. Ces écrits permettent de mesurer l’état de ses recherches dans ces années. Non seulement Regner se place en tant que peintre et amateur d’art, mais essentiellement en tant que psychanalyste, ayant une vision globale de l’art de son temps, il jongle entre histoire de l’art, littérature et psychanalyse ponctuant son exposé d’exemples personnels.