Dans l’œuvre de Regner les titres proposés sont multiples et évolutifs. Le choix de l’intitulé est primordial puisqu’il contribue à orienter le spectateur dans sa contemplation : Regner y accordait une attention toute particulière. Ils sont l’interprétation du moment et laissent une ouverture à l’imagination du spectateur. En raison de leur singularité, ils peuvent provoquer de diverses réactions.
Les titres sont amenés à évoluer selon le support, mais aussi dans le temps. Communément un premier intitulé est donné au cours de la lecture du dessin automatique, certaines esquisses peuvent en posséder plusieurs comme La Provende, La Blonde est la bête.
Lors du passage à un autre support cette désignation peut être gardée, mais aussi évoluer, muter : comme Discussion d’insectes, Dispute noté sur le dessin, ce qui était une dispute est alors atténuée dans la toile par l’emploi du terme Discussion animée. Dans de rares cas changer : le titre relevé sur le dessin automatique est Le Dragon 1000 pattes, la gravure s’intitule Oiseaux, Le Dragon et la peinture Phalène et Myriapode, Le Dragon mille pattes.
Ces évolutions de titres au grès des supports s’expliquent de différentes manières : il semble évident que la mise en couleur entraîne fatalement une interprétation du sujet pouvant le faire évoluer, par conséquent engendre aussi l’évolution de l’intitulé. Il est également attesté que Regner pouvait modifier ses titres au cours de l’accrochage de ses toiles à l’occasion d’une exposition.
Chez lui, l’artiste lors de la présentation de ses toiles, affectionnait une petite pratique consistant à ne livrer l’intitulé qu’après avoir écouté le ressenti de chacun, suscité par l’interrogation « que voyez-vous ? ». Démarche dont la visée peut sans doute être rapprochée d’une anecdote relatée au cours de l’une de ses conférences :
Un jour invité à donner mon avis sur une toile, après m’avoir vu longuement la contempler, le propriétaire me demanda quelques précisions sur l’anecdote. À sa grande stupéfaction je lui répondis : ‘Je ne sais pas ce que représente votre tableau, j’ai oublié de regarder le titre’. ‘Mais vous venez de me dire que c’était une excellente peinture’. Évidemment, le monsieur était persuadé que je me moquais de lui, j’étais parfaitement sincère. Mais je n’avais vu que les qualités picturales. Extrait de la conférence Psychanalyse, spéculation, peinture moderne, Regner, 1947.
Regner commence à donner plusieurs intitulés à une même œuvre dès sa première facture automatique, durant cette période le second titre vient compléter le premier : Le Perroquet, L’Ara bleu, pouvant aussi comporter un élément descriptif de la toile puis un ressenti provoquant deux orientations distinctes dans la lecture du sujet : Rêve d’évasion, Le Petit Bateau bercé.
Le même procédé est conservé lors de la seconde facture, les intitulés davantage recherchés évoquent les titres attribués aux Objets naturels à réaction poétique. Jeux de mots L’An n’œuf, La Belle est la bête, références historiques Les Coulisses de Yalta,L’Exode et littéraires Les Animaux malades de la peste, La Folle de Chaillot, mythologiques Pégase et le mouton, La Diane d’Ephèse. Mais aussi références bibliques Marthe et Marie, L’Ange du Seigneur.
L’exemple de la toile intitulée Les Portaises, L’Étal de poissons, Nausicaa découvre Ulysse permet de mettre en lumière les conséquences qu’entraînent ces titres multiples ou évolutifs : une mise en lumière d’un élément de l’œuvre plutôt sur un autre, comme lors du choix des couleurs. Le premier titre Les Portaises, oriente le sujet vers les figures féminines ; probablement des vendeuses de poissons dans un port de pêche (Les Portais, Portaises sont les habitants de Port-en-Bessin). Le second intitulé L’étal de poissons désigne de la même manière que le premier un élément touchant au quotidien et les pratiques qui l’entourent telle la vente des poissons. Le dernier titre Nausicaa découvre Ulysse est une référence mythologique, mettant en valeur deux personnages particuliers présents dans la toile. Entraînant le spectateur hors de la réalité quotidienne, l’amenant à rechercher une autre image, une autre signification.
L’artiste joue avec les sonorités et réalise des jeux de mots telle La Belle est la bête où ce que l’on entend et ce que l’on voit dans l’image (deux protagonistes) sont différents de la lecture du titre : on y découvre un seul personnage à la fois « belle » à la fois « bête » attisant notre curiosité, qui n’est pas sans évoquer le conte d’enfant.
Jeux de mots et ambivalence des sentiments, font toujours partie de son panel comme pour la gravure Prise de bec intensifié par l’ajout d’un second titre Sentiments ambivalents où l’on peut à la fois interpréter l’image au sens propre comme au figuré : « La sensuelle Prise de bec, dont on ne saurait conclure s’il s’agit d’un baiser ou d’une dispute, d’une rupture ou d’une réconciliation. » Bouret, Vazelle, in Catalogue Raisonné, 2002.
L’artiste va jusqu’à intriguer le spectateur par l’emploi de termes rares (Les Lémures vaniteux, Guipures et vieilles dentelles, de désignations scientifiques telles La Cistude et la phalène, La Boudrague entreprenante, rendant ces animaux encore plus étranges. Cet emploi de mots peu fréquemment utilisés, peut trouver son origine dans l’enfance du peintre, la profession de son père Louis Regner était professeur de langues dont il est rapporté qu’il en parlait dix-sept. « Regner affectionne les termes rares qui intriguent. (…) Des alliances incongrues de mots piquent notre curiosité et stimulent notre imagination. » Bouret, Vazelle, in Catalogue Raisonné, 2002.
Il n’est pas aisé de révéler un procéder certain à propos du mode de fonctionnement des titres. Dans la plupart des cas les titres se complètent, une idée générale est couplée avec un élément plus engagé dans l’interprétation pouvant cibler un élément particulier : Le Bar, Ouvert la nuit, Le Magnum. Plusieurs pistes de lecture peuvent être données comme Le Dragon mille-pattes, Phalène et Myriapode avec ces deux titres l’artiste passe d’un univers fabuleux au microcosme des insectes.
L’intitulé découle ainsi d’une interprétation de l’image, la multiplicité des titres peut évoquer d’une part le choix de ne pas trancher, et la part d’interprétation suggestive qu’il souhaitait transmettre à chacun d’autre part.
Le spectateur peut percevoir cette multiplicité des titres de différentes façons : une porte ouverte afin de lire l’œuvre à sa façon, de développer son imaginaire au moyen de mots peu utilisés et d’associations parfois incongrues, ou bien une réponse non arrêtée de la part de l’artiste, qui n’ayant pas la clé de son propre dessin, donne plusieurs interprétations. De manière identique aux Objets naturels à réaction poétique les titres sont caractéristiques de l’interprétation du moment et laissent alors une ouverture. Il n’y a pas là une recherche de vérité absolue, mais une liberté de lecture. Claude Bouret et Isabelle Vazelle évoquent à juste titre « une interprétation possible de la richesse polysémique de l’image. »
Le processus créatif issu du dessin automatique à plusieurs registres, est digne d’un oxymoron : entre lecture sensorielle du dessin et rigueur quasi scientifique du report entre spontanéité et réflexion, rapidité et lenteur découlant de la fulgurance du tracé premier où l’artiste fait le vide en lui pour laisser exprimer son inconscient et la longue étape de mise en couleur de la toile : « A. G Regner, le peintre de la Césure, de l’alliage alchimique entre l’improvisation et l’expérience, la spontanéité et la médiation. » F. Braun, La Renaissance du Bessin, 29 octobre 1985.