Pour Regner à l’inverse d’autres artistes, le dessin automatique n’est pas considéré comme un aboutissement, mais comme le commencement d’un processus qui va évoluer et qui aura pour finalité une gravure, une peinture. Le dessin automatique est utilisé alors comme dessin préparatoire et n’a pas d’autre fonction. Ces croquis n’ont jamais été exposés.
Les dessins automatiques peuvent se trouver dans des carnets, sur feuilles mobiles issues de carnets, mais aussi de bouts de papier divers tels des lettres, versos de dessins d’élèves.
Ces supports n’ont pas été datés par l’artiste, il est donc impossible d’établir un ordre chronologique. Seuls quelques dessins utilisés pour des gravures ou des peintures sont datés. L’évolution même du travail de l’artiste pose le problème de classement de ces dessins : première ou seconde manière.
Le classement chronologique des carnets de dessins automatiques n’est pas réalisable, cependant quelques observations et déductions peuvent être réalisées à partir de ces supports.
Les séries de dessins automatiques
À la vue de ces carnets, une première remarque d’ensemble peut être relevée : contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les dessins automatiques ne sont pas forcément autonomes ; certains liés aux précédents et aux suivants forment des séries.
La plupart du temps ces esquisses ont pour point commun une structure : une horizontalité ou verticalité peut ressortir formée par un groupe de personnages ou par un élément du décor. À de plus rares occasions le thème traité peut être similaire : 39 dessins ont été dénombrés reprenant le thème du suaire.
On discerne dans tous, une femme de dos tenant un tissu pouvant être orné d’une figure (à gauche ou à droite selon les dessins) qu’elle tend à un groupe de deux ou trois individus plus ou moins clairement esquissés. Dans cette série, le sujet prévaut contrairement à la structure qui, elle évolue. Comme si au cours de l’élaboration des dessins, une même forme ou un même sujet obsédait l’artiste. Il est difficile de prouver si ces « séries » datent de la même nuit, mais c’est à l’évidence le cas, qui plus est à plusieurs reprises le peintre a déclaré pouvoir créer un grand nombre de dessins durant une nuit :
Je place un bloc de papier à côté de mon lit, et dans le noir je griffonne. Je peux en faire jusqu’à des centaines dans une nuit. Chenoir, Ouest-France, 11-12 décembre 1982.
Jean Vinchon évoque deux types d’apparition d’images intérieures, distinguant celles qui surgissent de manière isolée et celles qui se manifestent par séries. Dépendants en grande partie du caractère du dessinateur :
Certains se comportent d’une manière réservée et concentrent dans une seule image plusieurs états psychologiques. D’autres, plus prolixes, multiplient les images par série. Vinchon, 1959.
À plus vaste échelle, ces mêmes structures sont perceptibles d’un bout à l’autre de sa seconde facture où l’on peut percevoir une même construction verticale avec trois personnages, autre exemple dans la Mise au tombeau 2 et Les Artisanes avec cette fois-ci une horizontalité. Il est évident que les mêmes structures à des temporalités différentes ont été créées.
Une contrainte de format
Une nuance doit être apportée entre une structure et une composition. Les dessins automatiques par leur procédé de création même, peuvent être structurés (une forme est observable) mais ne peuvent être composés, puisqu’il y aurait alors contrôle de la raison. Ce constat soulève une double interrogation propre à la création du dessin automatique. En premier lieu la question du support et de son format : Regner utilisant des carnets de mêmes dimensions pour ses tracés (relativement petites 21 x 13,5 cm), la main pourrait être « freinée » dans son mouvement à cause du format de la feuille par conséquent limitée dans son geste entraînant la répétition d’une même structure. André Masson exprimera les problèmes que peut entraîner le format :
La dimension du format papier revêt une importance non négligeable. Son format doit en quelque sorte s’adapter à la gestuelle du dessinateur, se mouler sur son amplitude. D’où généralement, l’utilisation de formats moyens, pouvant être remplis et recouverts par le mouvement. […] [La dimension du format] Trop petite, le champ, le souffle est raréfié. Trop grande, il y aurait impossibilité matérielle, interruption, enfin disparition des images. Masson, 1976.
De plus, l’exercice répété de production d’un dessin automatique ne favorise-t-il pas la reproduction d’un même geste ? Le même constat est fait à propos des dessins d’André Masson :
L’automatisme, sans cesse semblable et toujours différent, s’apparente alors au retour même. Éternel retour, au sens nietzschéen du terme. Roue du devenir et compulsion de répétition entraînant toutes lignes et figures dans l’entrelacs des plus merveilleuses stéréotypies. […] Le geste aime ces retours et la splendide perfection de ce qui se forme et se reforme avec une surprenante régularité. Une régularité qui n’est certes pas géométrique et froide, puisque c’est la régularité du vivant. De Méredieu, 1988.
Un automatisme mais des acquis
En possédant une structure, le dessin automatique amène à s’interroger sur l’identité de celui qui le produit : « Aussi spontané qu’il soit, l’automatisme se sustente et se nourrit d’apports culturels et mémoriels. ». Même délibérément, aussi affranchi qu’il puisse l’être, l’artiste ne peut gommer totalement ses acquis passés et donc ne peut désapprendre à dessiner. Son rendu sera immanquablement différent de celui d’une personne n’ayant pas suivi de formation. L’exemple des griffonnages automatiques du président Hoover lors de discussions téléphoniques est souvent donné, ses dessins sont totalement « invertébrés » ne présentant aucune structure. Voici ce qu’en dit André Masson :
On a comparé un jour un de mes dessins automatiques à un dessin médiumnique qui avait été fait par le président Hoover, alors qu’il téléphonait ou dans le cours d’une pensée d’imagination politique. Il y avait une grande différence. Mon dessin était quand même, non pas construit, mais très articulé. L’autre était invertébré. Autrement dit, mes dessins automatiques ne sont pas composés, mais quand même structurés. Si je n’étais pas né dessinateur, mes dessins automatiques n’auraient évidemment pas la même valeur. Parce que malgré tout, je crois rejeter l’esthétique, mais l’esthétique, elle ne me rejette pas. Brownstone.
L’emploi de différents outils graphiques entraîne des effets inégaux. Regner a toujours réalisé ses dessins automatiques au crayon, instrument qui accorde peu d’effets au tracé. Tandis que Masson utilise l’encre, qui selon les différentes qualités de papier, l’inclinaison de l’outil, la vitesse du tracé produit divers effets d’épaisseur du trait.
L’entrelacs
Le type de tracé produit par la main, pour ainsi dire le geste est un élément important, il pourra varier d’un artiste à l’autre. Le tracé produit par Regner tendra à être continu, emplissant l’espace pratiquement sans interruption du geste par conséquent de la ligne, ayant un point précis de démarrage et d’achèvement. La ligne s’entrelace, formant des espaces semblables à la composition d’un vitrail ; cette particularité du dessin automatique de Regner a souvent été rapprochée de la technique du dessin préparatoire de la dentelle qu’il a pratiqué durant ses jeunes années :
Les lignes claires d’A.-G Regner évoquent sa première activité […]. En effet A.-G Regner a commencé par être dessinateur technique en dentelles et ses enchevêtrements de lignes peuvent faire penser aux points dans le vide du tulle et de la broderie et suggérer d’arachnéennes toiles. Richaud, L’Écho de la Finance, 14 octobre 1960.
L’amplitude du tracé procure au dessin une certaine homogénéité, renforcée par cette superposition de la ligne ; provoquant une sensation d’énergie. Entrelacs qui, par la suite amènent Regner à devoir réaliser une « lecture », une sorte de projection dans les formes, afin de parvenir à démêler cette ligne.