La technique définitive est adoptée par le peintre le 22 février 1953. Plusieurs changements significatifs vont être effectués à différents degrés.
Le dessin automatique reste intacte, n’étant plus retouché et les faux traits sont gardés. Le croquis automatique est scrupuleusement respecté et ne perd donc plus son contenu automatique. Après la lecture du dessin l’artiste choisit son support : gravure et/ou peinture. La transposition en gravure ne demande pas d’étude supplémentaire, le dessin gardant ses dimensions.
En revanche, pour passer à la peinture quelques étapes supplémentaires sont nécessaires.
Des écrans clairs et foncés sont exécutés, de la même manière que ceux réalisés lors de la première période. Sorte de « maquette » de couleurs pour la toile, ces dessins sont très souvent annotés de la couleur souhaitée.
C’est au moment de la mise en couleur que les limites du procédé de dessin automatique sont franchies, le dessin premier étant « complété » ou parfait par la couleur. Regner abandonne l’inconscient pour devenir peintre, laissant place au conscient qui va compléter le processus automatique :
J’accorde en effet beaucoup d’importance au dessin venant de l’inconscient et à son côté cocasse qui me permet ensuite d’interpréter l’ensemble. Je donne libre cours à l’inspiration avant de me lancer dans la couleur. Ce n’est qu’à cet instant que s’arrête l’inconscient, car la couleur est alors primordiale. Elle se raisonne, tout y est étudié et pensé, car les sentiments que je veux traduire s’exprime par la couleur. F. M, La Renaissance du Bessin, 5 juillet 1947.
Dans l’intention de laisser un exemple des différentes étapes de son travail avant la mise en couleur finale, Regner a effectué vers 1980 une série de trois toiles inachevées.
Préparation des écrans
La première étape nommée « Préparation des écrans », consiste à appliquer sur la toile les limites des contrastes réalisés en étude, par une « mise au carreau » : tout en reprenant les contours du dessin automatique, le fond est peint en damiers irréguliers de différentes couleurs. Les écrans sont toujours réalisés de manière binaire, reprenant deux tons principaux, lors de cette étape, le peintre réalise simultanément deux plans : le fond et le dessin. Pour la préparation Sous prétexte de récolte, le peintre fait alterner les couleurs rouges et blanches créant ainsi différents plans de manière à donner de l’épaisseur à son dessin. Procédé qu’il appelle échange de couleurs : Je pense que je suis arrivé à la question d’échange de couleurs, par l’héraldique, en héraldique on utilise souvent l’échange de couleurs passant de l’une dans l’autre et bien dans la peinture qui est faite avec des teintes plates puisque je n’utilise pas le modelé, il est certain que c’est parce que je mets des couleurs avoisinantes pour donner ce relief qui autrement ne serait jamais obtenu. Alors, je fais passer comme dans l’héraldisme les couleurs de l’une dans l’autre. Et c’est ça qui donne l’impression d’épaisseur. Extrait ITV, Herniaux, Gruyer, 1984.
Cette étape essentielle pour le rendu final de la toile, permet par la suite d’obtenir un effet qui va faire évoluer les couleurs au gré des différences de lumière.
Report des traits
Vient ensuite le report à la craie, consistant à reproduire à l’identique le dessin. Travail minutieux réalisé à l’aide d’épingles et d’un compas permettant de mesurer les écarts. C’est pour cette raison que certains dessins automatiques sont « piqués ». Ces mesures sont alors reportées à la craie sur la toile, comme nous pouvons remarquer pour la préparation Le Militaire enchaîné.
Afin de reporter le dessin de la même sorte que pour Oiseaux sur un tertre, il suffit au peintre de repasser sur le trait à la peinture blanche de manière plus ou moins accentuée pour permettre de faire ressortir le sujet. Travail requérant minutie et précision que l’artiste compare à une profession exercée dans sa jeunesse : Je suis en quelque sorte pendant ce travail, un dessinateur en dentelle ; c’est un peu comme si je traçais des fils dans le vide à la façon des tullistes.
Les initiales de d’artiste ont été apposées sur le fond en damier, cette griffe n’est pas la définitive que le spectateur pourra contempler, mais une intermédiaire : « Sous les couches successives, on peut parfois déceler une signature cachée : A.-G. R. » pratique courante chez Regner depuis des années comme l’atteste un témoignage d’Henry Lhotellier à propos des toiles figuratives :
Aux murs, de tes peintures, paysages ou natures mortes comportant, dissimulé dans un feuillage ou dans l’ombre d’un objet, un minuscule point rouge. Signe ou signature sécrète qui annonçait déjà tes « signatures cachées » futures. Là pointe déjà ta recherche de l’envers des choses, de l’invisible sous le visible, la transmission du message profond de l’inconscient. Lhotellier in Bononia, 1991.
Toutes les étapes de préparation sont dès lors terminées, le peintre aimait répéter « et après il n’y a plus qu’à peindre« , comme si le travail d’artisan laissait enfin place à celui de peintre.
Les échanges de couleurs
Tandis que Regner travaillait la matière et la couleur en aplat lors de la première période, sa couleur s’allège et se nuance lors de la seconde. De sa rencontre avec Bonnard, Regner retiendra la technique de la mise en évidence des couleurs en effectuant un rappel des touches, mais aussi le jeu de transparence.
Comme pour les échanges de couleurs réalisés lors de l’étape de la mise au carreau, mais employés plus subtilement, Regner procède à des rappels de touches qui s’interpénètrent créant ainsi un effet de volume à l’intersection des couleurs. La Famille constitue un bel exemple de ce procédé : la couleur rose du drapé du personnage féminin venant se refléter dans sa tenue.